Ma vie, c'est un peu comme ce poème de Prévert. Comme ce déjeuner du matin.

Tous les matins, je te regarde. Assise en face de toi, aucune parole ne vient troubler le silence de plomb qui nous étreint depuis longtemps. Trop longtemps. Je suis toujours réveillée avant toi. Je te regarde longuement. Je pourrais dessiner ton visage les yeux fermés. Mes yeux caressent tes longs cils et ton front volontaire. Ils effleurent tes lèvres et je dépose un baiser dans le creux de ton cou. Tous les matins, avant que tu n'ouvres les yeux. Pendant quelques minutes, je vis dans un joli songe. J'ai oublié la veille et ne pense pas encore à aujourd'hui. On a arrêté de penser à demain.

J'ignore ce qui t'éloigne de moi. Tu as scellé tes lèvres un matin de juin. Et juillet se profile déjà à l‘horizon. Je me souviens parfaitement de ce jour-là. Ce jour où notre enfer a débuté. Je pourrais te relater le moindre de tes mouvements. Je m’épargnerais cet effort inutile. Tu t’en souviens, peut-être plus que moi d’ailleurs. Les mots que cette inconnue a prononcés dans le combiné du téléphone doivent être marqués au fer rouge dans ta mémoire. Tu as reposé le téléphone. Et tu m’as regardée.

Ce regard m’empêche encore de dormir aujourd’hui. Ce sont ces yeux-là que je vois dès que je ferme les paupières; je t’ai vu te briser en l’espace d’un instant. Tout ce que tu étais s’est retrouvé en miettes, à mes pieds. Et à partir de là, tu as vécu dans ton monde. Je ne suis plus qu’un fantôme. Tes regards ne font que passer à travers moi. Tu refuses tout ce que je te propose. Et je suis cassée.

Je sais ce que tu voudras me répondre après avoir lu cette lettre. Je le sais. Ces mots, tu me les a déjà dit. Ne crois-tu pas que d’autres me les ont répétés? Ne crois-tu pas que je les honnis ces mots? Mais tout comme tes yeux, ils me hantent. Et actuellement, c’est ce qui me fait tenir. On m’a conseillé de partir. De faire mes valises. On m’aurait accueilli. J’y ai pensé. Je l’ai presque fait, figures-toi. Presque.

Seulement, je n’ai jamais pu franchir la porte. Je n’ai pas su m’éloigner de chez nous. Je ne peux pas te laisser là. A dépérir. Je suis affreusement impuissante, prisonnière de tes silences. Tant pis. Je continue de guetter tes pas dans le couloir. Je continue d’espérer un baiser lorsque tu rentreras. Je continue d'espérer une parole. Ou peut-être bien un mot.

C’est toujours toi, tu vois.

[Ecrit . Il y a un moment déjà. Il est l'heure de solder mes mots.]

Souffler une douceur