Entre fourchette et cuiller, parlons un peu. De pas grand chose. Mais. Pause tes mains à plat et ouvre la bouche. Un peu. Rien qu'un peu. Oui. Mais. Quand je suis concentrée, je ne parle pas. Ne penser qu'à compter. Journée interminable.

Dis bonjour à Avril, surtout.

J'ignore pourquoi. Ni comment. Pourquoi des gens se font la malle au détour d'un carrefour. Pourquoi parfois ils sont remplacés. Et d'autrefois. D'autrefois, tu restes comme une conne sur le trottoir à voir la voiture partir. A espérer un dernier signe de main. Un geste qui excuserait ce départ inopiné. Ce départ non préparé. Non annoncé. En plus, c'est un peu le hasard qui t'a mené là au bon moment. Au bon endroit. Sinon, tu n'aurais jamais rien su. Jamais rien vu. Tu aurais attendu des nouvelles. Puisque la messagerie vocale était débordée. Encombrée. Tout ça quoi. Et évidemment, tu ne comprendras pas. Pourquoi? Pourquoi. En même temps, tu crèves d'envie de faire pareil. Mais que par moments. Tout envoyer valser. Mais il en faut du courage. Ou alors, aller si mal. Pour oser le faire. Et pourtant.

Emmurée dans un silence, j'ai dû improviser sur solitude. Mais rien ne vient si facilement. Rien. Tu te retrouves face à ça. Face à eux. Face à ce mot. Et puis. Rien. Les mots qui se bousculent peut-être un peu trop. Mais ils ne sont pas assez là. Je préfère raconter des histoires. Oh, ça. J'aime. Et je m'y retrouve si facilement. Raconter des abracadabras et des bourrasques. Des naufrages et des carnavals. Seulement avec dix mots.

Dans le train. Il y avait cette Soeur qui s'esquissait à chaque ouverture d'entre-deux wagons. Il y avait tous ceux qui revenaient de manif. Il me semble. Et à part Ferme Ta Gueule, je n'ai pas tout compris. Il y avait aussi ces grands-parents. Une meute. Une troupe. Qui ne savaient pas comment maintenir la porte ouverte entre-deux voitures. Qui restaient debout et gênaient tout le monde parce qu'ils n'avançaient pas. Et dans tout ça, une petite dame qui demandait Où c'est la 1ère classe? Et je me suis endormie. Comme une brique tombant du mur. Le sommeil a été aussi profond que le trou laissé sur le bitume. Et quand je me suis réveillée, il y avait ce regard bleu. Je n'ai pu que me demander si j'avais dormi la bouche ouverte.

Avant, il y a eu cette vitrine. Que l'on a montée peu à peu. Demain rendra le final. Ne surtout pas oublier l'appareil photo. Et dans le train, un soir, rater ma soeur juste parce qu'elle était assise à l'étage supérieur. Dommage. J'aurais quand même volé un bisou de mon neveu.

Tu sais, il fait doux. Enfin. Et le ciel se dégage bleu. Un peu. Mais fais-moi dormir tout mon saoul. Je t'en prie.

***

"Mais croyez-moi, les mots allaient venir et, lorsqu'ils arriveraient, Liesel les prendrait dans sa main, comme les nuages, et elle en exprimerait la substance, comme la pluie."
La voleuse de livres, M. Zusak

Souffler une douceur