Le regard à demi-clos, je me perds sur un banc en pain d'épice. Le long de la Seine, je n'ai même pas compté les voitures. Je me souviens du bruit, pourtant. Il y a eu la passerelle allant à la BNF. J'ai voulu courir comme dans les montagnes russes. Passer d'une rive à l'autre. Et pendant un court instant, surplomber un autre monde. Sur les quais, les bateaux étaient immobiles. On a frôlé le bateau de pirate. J'ai eu une préférence pour le bateau phare. Pourtant, il faisait jour. Mais le rouge a attiré le regard. Et je n'ai pu m'empêcher de le voir, lui, sa silhouette, se détacher du reste. Le vent, en face, fouettait le visage. Le froid l'accompagnait. Les mains dans les gants, les gants dans les poches, le nez dans l'écharpe et le soleil dans les yeux. Voilà, le temps d'hiver que je préfère. Aujourd'hui, hier et avant-hier, il n'a pas fait jour. Le soleil ne s'est pas levé. Il a tamisé les nuages gris. Tellement gris que j'espérais le blanc. Non. Tout est tombé incolore aujourd'hui. Dans la voiture, maman me demandait. Où j'irais. Ce que je ferais. Je lui ai répondu que je ne savais pas. Que j'irais où on voudrait bien de moi. Je me suis rendue compte que je ne pensais même pas à avoir le choix. Elle m'a demandé si j'irais loin, j'ai haussé les épaules. Et puis,mon coeur a été serré entre deux paumes. Et sur un sourire, je me suis rendue compte qu'elle n'était pas tout a fait préparée à ne plus avoir d'enfants tout près d'elle. Comme si m'en aller ne lui laissait que mon neveu à aller chercher à la sortie de l'école. Lorsque je rentre des cours, il faut remonter le long des rails pour regagner la voiture. C'est une habitude. Je m'arrête là où ma soeur habitait. Je regagne la voiture et mes yeux, sans m'en rendre compte, regardent vers le troisième étage. Le volet est fermé mais il y a de la lumière dans la cuisine. Je ne l'ai pas vu vide, leur appartement. Les dimanches midi mettent du baume au coeur. Les messes basses avec ma soeur, les heures douceurs avec mon neveu. Et partir, pas très loin, dans les histoires de pâte-à-modeler. Viens, on chante ces comptines que l'on avait presque oublier. On se chatouille et on fait des bisous. Des tout doux, des bruyants, des baveux, des rigolos et des sucrés. Et puis, c'est déjà dimanche soir. Alors, je souris. Parce que je suis la seule. A avoir encore un jour de plus avant le début de la prochaine semaine. Aujourd'hui, c'est décembre. Et le long des rails, les pensées se réveillent à peine. Elles sont encore endormies et blotties dans la chaleur du train.

Souffler une douceur